© Région Grand Est – Inventaire général / Pascal Thiébaut
L’influence française en Lorraine connaît ses premières implantations durables dans la seconde moitié du XVIe siècle avec l’occupation des Trois Évêchés et le début de réalisation des citadelles de Metz et Verdun, selon le système bastionné mis au point en Italie dans la seconde moitié du siècle précédent. Issue de la science des ingénieurs militaires, cette nouvelle forme architecturale résistante à l’artillerie alors en plein développement, constitue le principal élément signalétique de la naissance de l’État Moderne en Europe. Zone de contact avec le Saint-Empire, la Lorraine prend alors une place particulière que lui confèrent les guerres de Louis XIV. Initialement au service du roi d’Espagne, Vauban (1633-1707) qui vient d’achever pour son compte la fortification de la ville de Sainte-Menehould, passe au service du roi de France : il complète les fortifications de Metz, Verdun, fortifie la ville-neuve de Nancy, édifie Toul, Neuf-Brisach et débute la fortification du Rhin avec Strasbourg, Kehl, Huninge. Issu des guerres napoléoniennes, le traité de Vienne (1815), fait de la Prusse, « l’ennemi héréditaire » de la France ; il le restera jusqu’en 1945. Cette période est marquée par une militarisation accrue des régions frontières ; à l’accumulation des emprises à vocation militaire, s’ajoute la succession de nombreux systèmes de fortification. Alors que la France reste fidèle, malgré quelques modifications, aux principes de Vauban jusqu’en 1870 ; les États allemands mettent au point, vers 1800-1806, la fortification polygonale dont les principes avaient été établis en 1776 par un ingénieur français, le marquis de Montalembert. Ces nouvelles dispositions marquent l’organisation urbaine : alors que les vieilles enceintes urbaines sont détruites en Allemagne et en Autriche (Vienne) dans les années 1830, leur réalisation reste pratiquée en France (Paris, 1840). Les principes de la fortification polygonale favorisent la constitution de places fortes à forts détachés, dont la taille réduite, autorisée par l’abandon des fronts bastionnés à fort développement, favorise une meilleure adaptation au terrain. En privant la France du Rhin, sa « frontière naturelle » à l’Est, le traité de Francfort (1871) marque la formation, à l’ouest de la frontière politique avec l’Allemagne, d’une frontière militaire : le système Séré de Rivières. Dû au général (1815-1895) du même nom, il comporte deux éléments distincts mais complémentaires : un ensemble fortifié à développement national contrôlant principalement les points de passages entre Dunkerque et Nice en s’appuyant sur la topographie (côtes de Meuse et massif des Vosges, en Lorraine) ; des places anciennes (Verdun ; Toul ; Belfort) ou créées de toutes pièces (Epinal) pourvues de forts détachés ; des « rideaux fortifiés » Verdun-Toul et Epinal-Belfort constitués de forts isolés contrôlant des points de passages singuliers ; une « trouée » non fortifiée, entre Toul et Epinal, formant point de passage obligé pour l’adversaire. Édifiés selon le système polygonal, alors récemment (1868) théorisé par le général belge Brialmont, les ouvrages Séré de Rivières offrent un plan d’ensemble simple (fréquemment pentagonal ou carré) conditionné par leur implantation ou leur position dans le polygone fortifié d’une place à forts détachés ; le flanquement (défense intérieure) de leurs fossés s’effectue par des casemates défilées croisant leurs feux. Des réalisations de nature identiques sont effectuées par les allemands dans les places fortes de Metz et Strasbourg. La mise au point, la première moitié des années 1880, d’explosifs chimiques et leur usage dans les projectiles (obus brisant) conduit à une transformation radicale de la fortification dans l’ensemble des puissances européennes. Elle se traduit principalement par un renforcement, en béton, puis béton armé, des ouvrages existants de manière à résister à l’effet des projectiles brisants et une première forme, dans les places à forts détachés, d’éclatement de la fortification par étalement, entre les ouvrages principaux, de batteries d’artillerie couvertes par des ouvrages d’infanterie. Les progrès concomitants de la métallurgie, principalement à partir de 1886, conduisent à la réalisation dans les forts de tourelles « cuirassées « , en aciers spéciaux, éclipsables ou non, pour canons. La dispersion de la fortification trouve une forme nouvelle en Allemagne à travers la réalisation, à partir de 1893, de la « Feste » de Mutzig, dont les principes sont repris à Thionville en 1899, puis dans la ceinture fortifiée de Metz à partir de 1905-1908. Offrant une superficie de plusieurs dizaines d’hectares, la « Feste » offre plusieurs batteries sous tourelles, des casernements bétonnés reliés par des communications souterraines et un fossé périphérique flanqué par casemates ou blockhaus. Cette fortification palmaire, largement étudiée par les officiers du génie français à Metz en 1921, est directement à l’origine des principes utilisés dans la Ligne Maginot dont les premières réalisations en Lorraine et Alsace interviennent dès 1929. Dotée principalement de locaux souterrains qui nécessitent un chauffage et une ventilation mécanique permanents (y compris en été pour les parties les plus profondes des ouvrages), la Ligne Maginot se prête mal à une occupation permanente en temps de paix. Pour y pallier, sont établis, particulièrement à proximité des ouvrages importants, des casernements de temps de paix. Dénommés, parfois improprement, « camps », ils offrent des bâtiments affectés au logement permanent des troupes, ainsi que les bâtiments accessoires (cuisines ; hangars ; écuries ; infirmerie ; ateliers). Y sont souvent associés des logements pour officiers et sous-officiers et leurs familles.
La militarisation de l’espace urbain se traduit particulièrement, dès la fin du XVIIe siècle dans les villes fortifiées (Marsal), par la réalisation de casernes. Conçue initialement autour d’une cour fermée-d’où le nom ancien de « quartier »-la caserne tend progressivement à s’ouvrir sur la ville avec la disparition d’un de ses côtés pour aboutir à une composition spatiale à trois bâtiments. Parfois pratiquée à la fin du XVIIIe siècle, cette composition trouve un développement nouveau après 1870 en France, particulièrement avec les types pour casernes d’infanterie et d’artillerie définis en 1874 et 1875. L’application des principes hygiénistes, à partir de 1889, plus particulièrement après 1907, conduisent à l’abandon progressif de l’emploi de bâtiments-troupes centrés sur cour et tendent à favoriser leur disposition en ligne. Le casernement type 1907, pour toutes armes, tend à privilégier l’édification de bâtiments de taille plus modeste, principalement affectés au logement d’une unité élémentaire (batterie ; compagnie ; escadron). Ses principes, s’inspirent en partie, des particularités du casernement allemand postérieur à 1874 où le développement de l’hygiène du soldat est plus précoce qu’en France. Bien que logeant des compositions et des effectifs régimentaires identiques à ceux pratiqués en France, il offre une physionomie architecturale radicalement différente. Les bâtiments sont en général placés en ligne sur les grands côtés d’une vaste cour de plan rectangulaire, dans les casernes pour troupes montées (cavalerie ; artillerie) les écuries sont placées dans une cour distincte. À partir du début des années 1890, un bâtiment-troupe est affecté à chaque unité élémentaire, il est pourvu de deux ailes latérales comportant les logements des sous-officiers et de leurs familles, l’effectif des chambres-troupe ne dépasse pas des hommes ; le bâtiment renferme des chambres dites « de jour » (salles de repos ou de correspondances) et une salle de cours pour l’instruction. Le casernement comporte un « casino » réservé aux officiers (avec salles à manger et bibliothèque), parfois une maison affectée au logement du chef de corps. Le traitement monumental des bâtiments varie selon la qualité hiérarchique de ses occupants.